Du Yukon au salon

Chronique du 10 mai 2024

Je pose mon livre sur la vieille caisse de whisky retournée et m’approche de la fenêtre, attirée par un bruit étrange au-dehors. Serait-ce le vent qui joue avec les feuilles ?

Mon regard est attiré par la masse sombre des nuages. On dirait que le ciel crie son désespoir du monde. Il pleut depuis une éternité. Impossible de me remémorer la dernière fois que j’ai vu le soleil briller au-dessus de l’onde… J’ai beau chercher, essayer de me souvenir, seule la pluie envahit mon esprit, incessante, implacable.

Je ressens soudain la morsure du froid qui embrasse la cabane. Le vent glacé s’insinue dans les interstices des vieilles planches et siffle un air triste. Je vais bientôt manquer de bois. Il faudrait que je sorte fendre quelques bûches, de quoi tenir jusqu’à l’aube. Fusil sur l’épaule, je me hâte ; le vent du Yukon se fout de la miséricorde.

Ce bruit, encore… cette fois-ci plus proche, plus menaçant. Un grognement grave et inquiétant. Le grizzli. Il rôde depuis quelque temps sur la rive, à quelques centaines de pas de là, marquant son territoire. L’autre jour, il s’est approché à moins de trente pas. Quand était-ce, déjà ? Non, décidément, je ne me souviens plus. À force de solitude et d'ennui, les jours se sont dissous dans la brume du temps.

Oh ! Ne pensez pas que je m’en plaigne ! Cette vie-là, je l’ai rêvée, je l’ai voulue. La solitude comme seule compagne. Une vie d’ermite libérée de toute contrainte, exempte de toute nécessité sociale, de toute convenance. Dans cet isolement brut, je puise une tranquillité profonde, un lien presque mystique avec le monde sauvage qui m'entoure.

C’est alors que je le vois s’approcher. Il trotte, pataud et maladroit, ses petits yeux d’ourson scrutant tout autour de lui. Je ne saurais dire s’il m’a vu. Sait-il seulement ce qu’est un homme ?

En tout cas, moi, je sais ce qu’est un ours et quoique captivé par son innocence, je reste sur mes gardes. Gare à moi si je me laisse attendrir ! Sa mère est forcément quelque part, tapie dans l'ombre, prête à défendre son petit. Instinctivement, j’attrape mon fusil…

Soudain, il s’arrête tout net et semble renifler. Il m’a repéré… Un vrombissement interrompt brutalement ce moment ; Mini-CEO a décidé qu’il voulait jouer avec son circuit de petites voitures Hot Wheels (on en parle de ces jeux du Diable ?).

Dis Maman, c’est quand l’heure du goûter ?

L’ourson s’approche alors, suivi de près par son paternel. Visiblement, c’est son père qui était tapi dans l’ombre… 

Chou, t’as pas vu le t-shirt bleu que je mets pour courir ?

Eh bien… Difficile de s’évader plus de 3 pages d’affilée dans cette maison !

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